Il y a près de trente ans, Bernardo Secchi évoquait, au moyen de ce qu’il appelait alors le « récit d’urbanisme », le souci des urbanistes pour la production de mythes, faisant d’une activité souvent considérée comme principalement technique, un travail centré sur la fabrique d’images et d’imaginaires. Cette composante du travail urbanistique, amplifiée par les impératifs de communication propres aux grands projets urbains contemporains, prend acte de la nécessité de structurer un récit pour légitimer, transmettre, penser un espace.
Or, si la métaphore de la narration a été abondamment mobilisée pour penser la fabrication de l’urbain, il n’existe aucune recherche qui tente de comprendre, à partir d’une définition étroite du récit, comment un récit d’urbanisme se déploie à travers différents documents de planification en agençant d’autres récits pour faire avancer son intrigue ou maintenir l’intérêt du « destinataire ».
Postulant que les modèles théoriques issus du champ de la théorie littéraire offrent une base pertinente à l’analyse d’autres productions culturelles mobilisant discours, récit et autres « inscriptions littéraires », l’objectif central de la recherche FNS-COST The narrative making of the city est d’appréhender les dynamiques et les interrelations continues entre trois modalités de récit du territoire genevois :
La cartographie présentée ici, ainsi que le roman s’inscrivent dans cette troisième et dernière modalité, qui s’intéresse à la production de contre-récits d’urbanisme par des acteurs individuels et collectifs. La recherche s’inscrit ici dans le paradigme de la recherche-participation et la géographie expérimentale. En organisant la rencontre, dans le temps long, de collaborateurs de l’administration cantonale, d’un collectif d’architectes-urbanistes développant des démarches innovantes en matière d’aménagement, d’habitants et enfin d’écrivains contemporains, la recherche aspire à faire émerger des contre-récits et tester les potentiels des intrigues complexes dans la planification.
À quoi ressemblerait un document de planification proposant plusieurs intrigues possibles ? En quoi l’exercice planificateur en serait modifié ? Quels seraient les possibles ouverts, en termes de participation habitante, par un document présentant différentes variantes possibles d’une même histoire, à l’exemple des livres dont on peut être le héros ?
L’expérience globale s’est déroulée, en partenariat avec le Département du territoire, l’atelier Olga et le collectif d’écrivain AJAR, durant 12 mois hors-les-murs, directement à la rencontre des habitants dans les quartiers. L’objectif était de construire, avec les habitants, une narration collective de leurs lieux de vie ; d’expérimenter, c’est-à-dire de tester en faisant, les modalités d’une écriture collective et polyphonique, d’un document d’urbanisme, propre à alimenter la fabrique du plan directeur cantonal 2050.
Le projet bénéficie d’un financement du Fonds de la recherche scientifique (FNS) suisse en lien avec l’action COST 18126 — Writing Urban Places. New Narratives of the European City.
Site du projet de recherche : https://www.unige.ch/nmc/